Heinz Wismann, un passeur entre les langues et les cultures
« L’Allemand est froid, carré, ponctuel ». N’est-ce pas ce qu’on entend à longueur de temps dans la bouche des Français ? Reconnaissons pour une fois aux clichés la possibilité de dire quelque chose de vrai…Pas des Allemands cependant, mais des « Gaulois » eux-mêmes, et de la relation franco-allemande. Le philosophe et philologue, Heinz Wismann est bien placé pour en parler. Il « s’est fixé » dans les deux langues et a vécu dans les deux pays. Dans son dernier livre, Penser entre les langues, il nous incite à regarder des deux côtés du miroir…
Heinz Wismann, qu’est-ce qui vous a amené en France ?
J’étudiais à l’époque les lettres classiques. A Berlin, j’ai fait la rencontre d’un spécialiste de la pensée antique – Jean Bollack – que j’ai très vite accompagné dans ses travaux. Quand il a été nommé assistant à l’université de Lille, le désir de prolonger notre collaboration féconde m’a amené en France. Je l’ai suivi dans le Nord pour ne pas me plonger directement dans la vie cosmopolite parisienne. 6 mois plus tard, je me suis installé à Paris...
Et il apparaît que cette arrivée à Paris est déterminante pour la suite de votre parcours individuel et de votre travail …
Effectivement. Je cherchais, pour m’installer, une chambre de bonne. Tout ceux que je rencontrais en ville me disaient que je ne devais pas me faire de souci si je ne trouvais pas de logement, parce que untel avait une tante qui avait une chambre quelque part et l’autre aussi… Enfin, pendant 6 semaines, on m’a promis une chose qui n’arrivait jamais… Pour moi, l’Allemand de Berlin, c’était soit oui, soit non ! Je ne m’attendais pas à ce qu’on puisse me promettre des choses sans avoir l’intention de tenir ses promesses. C’est là que j’ai compris la différence entre un rapport brutal de vérité, où on dit « non », et ce qu’on appelle la politesse…
Le Français serait plus poli et l’Allemand plus direct…Comment expliquez-vous cette différence de « comportement » ?
Dans les pays marqués par la contre-réforme catholique à la différence des pays marqués par le protestantisme, on n’est pas tenté par l’authenticité jugée trop brutale… On va d’abord vous traiter avec politesse, et ça peut aller jusqu’à un comportement un peu faux-jeton, comme en France…
Est-ce que ce manque d’authenticité « français » vous a déplu ?
Non, j’ai simplement découvert une autre manière d’être, c’est-à-dire une certaine douceur dans la relation avec l’autre, plus importante que la vérité et le rapport explicite, qui règne en allemand. En français, on dissimule pour mieux aménager la relation avec autrui. Peu à peu, j’ai pris conscience que cette autre manière d’être me complétait, moi qui venait d’un horizon culturel différent…
D’après vous, cette différence culturelle fondamentale entre la France et l’Allemagne s’inscrit aussi dans la langue ?
Les langues sont les témoins d’un comportement culturel ; elles permettent de comprendre comment chacun a une approche différente de la relation sociale…Sur le plan de son fonctionnement grammatical même et de son lexique, le français a plutôt tendance à dissimuler le réel au profit de l’implicite, tandis que l’allemand s’ancre dans le réel. L’allemand engendre par là ce qui – vu par un français – peut paraître un peu brusque et peut-être même brutal…
L’allemand et le français sont donc incompatibles…
Oui en ce sens, la langue et la culture française développent un type de perfection qui est justement ce qui manque à la perfection allemande… Ni l’une ni l’autre culture ne réalise un idéal et sur ce point, vous avez raison, ce sont deux modèles presque incompatibles. Et on peut d’ailleurs situer la plupart des autres cultures européennes dans l’écart maximum que représentent la France et l’Allemagne, la langue allemande et la langue française. La promesse – quand même mal perçue – dans le franco-allemand, c’est que cette polarité qui peut devenir hostilité, est en réalité une complémentarité ! La vivre comme complémentarité, c’est la tâche européenne qui nous est assignée !
C’est donc là la nature de votre engagement politique ?
Tout à fait, cette éducation européenne, c’est le terrain de mon engagement politique ! J’ai enseigné uniquement pour que la conscience de cette complémentarité advienne ! Je souhaitais que les étudiants perçoivent que quelque chose est possible dans l’autre langue et dans l’autre culture, qu’on ne réalise pas dans la sienne…
Propos recueillis par Delphine Schiltz
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