Quand les Français et les Allemands s'engagent au Mali
Nombreuses sont les communes françaises jumelées avec des villes d'Outre-Rhin. Ces partenariats bien connus se limitent en principe à des échanges culturels et sportifs. Pourtant la ville de Viroflay en banlieue parisienne et sa partenaire Hassloch en Allemagne ont décidé de dépasser l'espace franco-allemand. Les deux villes s'engagent pour le développement au Mali.
Le public est conquis. Dans l'auditorium de Viroflay le 23 novembre dernier, un duo de pianistes franco-allemand enchante les spectateurs, des mélodies de Schubert aux rythmes tango du compositeur Astor Piazolla. Si Viroflay met à l’honneur ce duo, ce n’est pas un hasard. La ville entretient une relation privilégiée avec l'Allemagne. Depuis plus de 50 ans, elle est jumelée avec Hassloch, ville de Rhénanie-Palatinat. Dans la salle, au deuxième rang, Gerold Mehrmann, écoute la prestation des musiciens avec attention. A la fin du concert, les « Hallo Gerold ! Wie geht's ? » se succèdent sur son passage, il paraît bien connu des Viroflaysiens. S'il a fait le déplacement depuis Hassloch, c'est parce qu'il doit rencontrer le lendemain matin ses homologues français du Groupe Mali. Le Mali ? Mais n'est-il pas question d'un jumelage franco-allemand ? C'est là que réside la spécificité de l'échange. A Viroflay comme à Hassloch, l'on s'engage pour le développement du cercle de Kolokani, région située au sud du Mali, à une centaine de kilomètres de Bamako. Le Groupe Mali de Viroflay et l’association de soutien à Kolokani basée à Hassloch sont juridiquement indépendantes mais se soutiennent dans le cadre du jumelage.
Trouver des financements
Deux fois par an, les équipes françaises et allemandes se retrouvent pour faire le point. Gerold Mehrmann, président de l'association allemande, revient sur la construction d'un jardin d'enfants dans le village de Massantola. « Nous aimerions obtenir une subvention du ministère allemand pour la coopération économique et le développement », rappelle-t-il. Ce technicien, ancien chef de projets dans une grande entreprise allemande, se bat depuis six mois pour établir sa demande de subvention. S'il y parvient, l’État allemand financera 75% du jardin d'enfants, dont le coût est estimé à 50 000 euros. La procédure est longue. Avant de s'engager, le ministère tient à vérifier le sérieux de l'association. En attendant, Gerold Mehrmann sait qu'il peut compter sur le soutien de la population de Hassloch. Grâce aux initiatives locales et aux dons privés, 8 000 euros ont déjà été récoltés. « Les habitants de Hassloch sont très impliqués », se réjouit-il, « Les Français partagent avec le Mali une histoire coloniale et une même langue. En Allemagne, rares sont ceux qui savent où se situe ce pays. »
« La plus grande barrière reste la langue »
Gerold Mehrmann lui-même ne parle pas français. Cela ne l'empêche pas de maintenir un contact permanent avec Brigitte Ragusa. Cette jeune retraitée, ancienne responsable des ressources humaines dans une filiale d'EDF, dirige le Groupe Mali de Viroflay depuis juin dernier. Elle prend des cours à l’institut Goethe afin de correspondre directement en allemand avec Gerold Mehrmann. C'est elle qui assure le lien entre son homologue d'outre-Rhin et les bénévoles viroflaysiens. En cas de quiproquo, tous deux peuvent aussi compter sur Gabrielle Bouyssou. Originaire de Suisse, parfaitement bilingue, elle est l'ancienne présidente du jumelage entre Viroflay et Hassloch. Depuis plus de vingt ans, elle participe aussi aux activités du Groupe Mali. Jetant un regard aiguisé de part et d'autre du Rhin, Gabrielle Bouyssou reconnaît que les équipes françaises et allemandes ne se comprennent pas toujours. « Les mentalités sont différentes. Les Allemands préfèrent les réalisations plus petites et maîtrisables, ils sont plus concrets. Mais la plus grande barrière reste la langue. » Pour elle, ce sont surtout les personnalités des bénévoles et leur engagement qui font la réussite de l’échange. « Depuis plusieurs années, il y a une réelle coopération entre les dirigeants des deux groupes », se réjouit-elle.
L’Allemagne et le Mali, une relation à construire
Le rôle de Gabrielle Bouyssou est aussi de faciliter les échanges entre Gerold Mehrmann et le Yacouba Simbé. Ce correspondant malien coordonne l'ensemble des projets sur place à Kolokani. En octobre dernier, il a été accueilli quelques jours à Hassloch. « On veut lui faire découvrir l'Allemagne », commente Gabrielle Bouyssou qui constate que les relations entre les Allemands et les Maliens sont devenues presque naturelles. « Viroflay a longtemps été le moteur de l'échange tandis que Hassloch participait financièrement. Depuis quelques années, les deux équipes se professionnalisent et sont de plus en plus indépendantes. » Auparavant, le financement des projets allemands passait systématiquement par l’intermédiaire de Viroflay. Ce n'est plus le cas. Le jardin d'enfant à Massantola est d'ailleurs le premier projet géré de manière autonome par Hassloch. De leur côté, les Viroflaysiens supervisent des réalisations plus coûteuses grâce aux aides de la mairie et du Conseil Général des Yvelines. En 2013, ils prévoient entre autres la construction d’une école dans le village de Diandola.
Privilégier les rapports humains
Viroflay s’est embarquée pour la première fois dans l’aventure malienne en 1981. A l'époque, l'ONG Terre des hommes finançait la construction de maternités dans le cercle de Kolokani, l’une des régions les plus pauvres du Sud-Mali. Monique Ferré et Louis Mollaret, deux Viroflaysiens, décident de se joindre au projet. La même année, la ville fête le vingtième anniversaire de son jumelage avec Hassloch. Quoi de mieux pour renforcer les liens avec les Allemands que de les associer aux actions d'aide humanitaire ? « C'est notre lien avec Terre des hommes qui a convaincu Hassloch de se joindre à nous », se souvient Monique Ferré. La coopération franchit une étape décisive en 2003. Un accord officialise désormais le partenariat entre Viroflay, Hassloch et le cercle de Kolokani. Ce qui n’était au départ qu’un projet d'aide humanitaire lancé par des Européens s'est transformé en véritable coopération tripartite. Témoin de ce changement, Gabrielle Bouyssou a vu les échanges se développer au fil des années. « Au-delà de l'aide au développement, il faut prendre en compte la dimension humaine. Nous devons impliquer la population locale, la rencontrer régulièrement sur place. » Les bénévoles aimeraient que les jeunes français, allemands et maliens se rencontrent eux aussi. La situation actuelle au Mali restreint cependant les échanges. « En mars 2011, notre volontaire a été rapatriée puis remplacée par Yacouba, notre correspondant actuel », raconte Brigitte Ragusa. « Selon l'accord de coopération, nous devons nous rendre au moins une fois par an à Kolokani. Cette année, compte tenu de la crise, nous avons invité Yacouba en Europe. »
« Agir ensemble, ailleurs »
Dans l'attente de meilleures nouvelles du Mali, la présidente de l'association viroflaysienne s'affaire devant son ordinateur. « Has pour Hassloch, Ko pour Kolokani, Vi pour Viroflay, c’est le nom que nous avons choisi pour notre site internet ». L'initiative pourrait inspirer d’autres communes. Les jumelages franco-allemands seront d’ailleurs mis à l’honneur le 22 janvier à l'occasion du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée. A l'époque, le chancelier Adenauer et le général de Gaulle signaient cet accord au nom de la réconciliation des deux "ennemis héréditaires". Pour Gabrielle Bouyssou, il est temps de tourner la page. « Pour mes petits enfants, cette idée de réconciliation ne veut plus rien dire. Ce qu'il faut maintenant, c'est agir ensemble, ailleurs ».
Laure Wallois
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