Vis ma vie ! L'allemand à Paris 3

Dans le hall de l’établissement, Patrick Farges, maître de conférences attaché au département d’études germaniques, fait d’emblée voler en éclat le mythe d’une relation franco-allemande privilégiée : "Il y a clairement un fossé entre le discours officiel et la réalité". Il existe plusieurs logiques qu’il convient de différencier : les institutions comme l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) tendent à magnifier les relations entre les deux pays, tandis que la plupart des Français ne prêtent pas véritablement attention aux relations franco-allemandes.

Le franco-allemand : une ritournelle

Selon lui, le franco-allemand relève en réalité de l’ordre du banal et ne captive pas réellement le Français lambda non initié au monde germanique dans la mesure où ce thème est beaucoup trop vaste. "La plupart des Français réagiront plutôt au sujet de questions beaucoup plus précises comme le mariage pour tous". A l’occasion des 50 ans du traité de l’Elysée, M. Farges constate toutefois avec amertume que les médias ne manqueront certainement pas "d’en remettre une couche et que cela ne dynamisera sûrement pas plus l’intérêt des Français pour la question."

            Le maître de conférences concède cependant que l’engouement des médias pour le franco-allemand aboutit aussi bien à des périodes contre-productives qu’à des périodes productives. D’après lui, nous traversons une période plutôt contre-productive en dépit de quelques relances dans les inscriptions en allemand à la fac. "D’ici à ce que ceux qui commencent l’allemand maintenant soient diplômés, la situation aura peut-être encore changé". Le franco-allemand ne se porte finalement pas aussi bien qu’on pourrait le penser.

« Le franco-allemand vit en autarcie »

Dans son bureau au troisième étage, la directrice du département d’études germaniques, Valérie Robert, confirme cette tendance. Selon elle, le franco-allemand vit clairement en autarcie et ne nourrit que les gens qui sont dedans. Si une grande majorité des Français ne s’enthousiasme pas plus pour la relation franco-allemande, c’est précisément peut-être parce que les deux pays sont enfin arrivés à avoir des rapports normaux.

Tout comme son collègue, Mme Robert dénonce la simplification par laquelle les médias tentent constamment d’ériger l’Allemagne en modèle, alors que cela ne marche pas tout le temps. Cette tendance serait due en grande partie à la position de Nicolas Sarkozy envers l’Allemagne pendant son mandat et François Hollande semble marcher sur les pas de son prédécesseur à l’Elysée, explique-t-elle. Les médias ont toujours besoin d’un angle et semblent en définitive particulièrement aimer celui de l’Allemagne modèle.

Cette instrumentalisation médiatique du franco-allemand associée à la grave crise qui sévit en Europe semble pourtant avoir porté ses fruits et permis une hausse significative des inscriptions en allemand. « Cela est dû au grand choix de parcours proposés à la Sorbonne », relativise Mme Robert. La directrice du département d’études germaniques souligne par ailleurs qu’il faut distinguer les inscriptions en fac des inscriptions aux cours d’allemand de l’Institut Goethe qui rencontrent un véritable succès auprès des jeunes diplômés qui ne trouvent pas d’emploi dans leur pays et envisagent donc de s’expatrier en Allemagne où la situation économique est bien plus favorable. C’est ainsi qu’à Valence, en Espagne, on a pu observer une multiplication par huit des inscriptions aux cours d’allemand du célèbre Institut, indique Mme Robert.

L’allemand à l’épreuve des clichés

Côté étudiant, l’allemand, ils ont choisi d’en faire leur priorité lorsqu’ils se sont inscrits en première année de fac. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils étudient, ils doivent faire face aux réactions plus que sceptiques de leur entourage : « Pouah ! Tu fais de l’allemand ? Et bien t’as le moral ! Moi j’ai essayé, j’ai été traumatisé ! Bon courage alors... »  Ce genre de réaction, Marie y a droit à chaque fois qu’elle évoque son parcours universitaire. 20 ans, en troisième année « CER Allemand » (Culture Enseignement Recherche) à la Sorbonne Nouvelle, c’est en sixième qu’elle a fait ses débuts dans cette langue réputée difficile. Un choix spontané ? Pas tout à fait, c’est sa mère qu’il l’a « forcée », l’inscrivant dans une classe « bilingue » anglais et allemand. Si cela avait dépendu de son père, il en aurait été autrement, ce dernier considérant l’allemand comme une « langue de barbares ».

Effrayante, parfois même repoussante, cette langue ne semble pas laisser indifférent. Ceux qui ne la connaissent qu’à travers ses clichés font la grimace, ceux qui s’y sont un peu frottés restent quelques fois traumatisés, et ceux qui sont tombés dedans quand ils étaient petits semblent se complaire à y vivre en autarcie. Marion, 22 ans, est dans la même filière que Marie, le « CER Allemand » à la Sorbonne Nouvelle. Au sein du groupe, l’enthousiasme est palpable. « L’Allemand, quand on adore, c’est chaque année plus fort encore ». Si Marion s’est lancée dans l’apprentissage de cette langue dès le CM2, c’est par pur hasard : « Il n’y avait plus de prof d’anglais ! ». Le courant est tout de suite passé, et elle a continué en sixième, en seconde, puis à la fac. L’Allemand oui, mais pas que : Marion concilie allemand et histoire. C’est encore et toujours le pragmatisme des parents, qui amené Myriam, 21 ans, étudiante en « CER Allemand », à apprendre l’allemand. Elle pratique cette langue d’abord en LV2, parce que « c’est la langue de l’élite ». Comme bien souvent, elle est conseillée par ses parents. Mais la germanophilie s’attrape plus vite qu’on ne le croit ! Myriam évolue peu à peu dans son rapport à la langue et s’y attache. Aujourd’hui, elle étudie l’allemand pour sa littérature riche et l’importance de son histoire. En outre, elle a développé un lien plus charnel avec cette langue qui « sonne bien » et avec laquelle « on peut jouer et s’exprimer vraiment autrement ». En ces temps de crise, l’étudiante ne voit cependant aucun changement en faveur de la langue allemande. Les clichés sont les mêmes : « c’est moche », «c’est la langue du nazisme autoritaire »,« à quoi ça va servir, personne ne le parle »…

Fi donc des 110 millions de germanophones dans le monde ! Et, fi de la première économie européenne ! La crise ne parvient, pour le moment, pas à convaincre des Français (pour toujours ?) sourds à l’appel de l’allemand. 

Promotion: 
2012-2013

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